Mayflower
"A well regulated militia being necessary to the security of a free State,
the right of the People to keep and bear arms shall not be infringed."
(Constitution of the United States of America, Amendment II)
I the People,
Je crois qu'il est temps. Au mois de mai cela fera un an que j'écris ici, bien trop qu'Elle m'a assassiné, et un peu plus que mon nom a quitté la Pologne. Derrière la fenêtre la nuit tombe. Je pourrais encore t'en chier des lignes et des lignes en brut de cette putain d'envie de crever qui ne me lache pas, mais tu t'en lasserais et tu aurais raison - je t'entends déjà gueuler (Remboursé !). Je pourrais te dire pour me justifier que tu n'as qu'à passer chez moi, en n'oubliant pas la vodka, pour que tu voies : on ne s'y habitue pas à la littérature qui ne s'écrit pas. Mais j'ai assez tenu mes positions, il faut maintenant l'attaque, ou du moins l'agression. Je crois qu'il est temps, de passer de la littérature d'urgence à la littérature administrative, la rédaction d'un visa. Je crois qu'il est temps, de partir là-bas.
Au mois de mai je prendrai les chemins que j'ai tracés ici jusqu'à maintenant, les voies que j'ai décidées navigables malgré les avis de tempêtes et les monstres marins - je suis un des leurs. Je prendrai la mer comme on prend une femme, avec le désespoir joyeux. Je prendrai les armes pour là où c'est un droit, où alors le crime est moins étroit. Là-bas, mes pages blanches comme un drapeau noir.
Au mois de mai, je crois qu'il est temps. Je balancerai un point final dans la gueule de ce journal, le brouillon d'une existence. Ce coup-ci pour de vrai, j'embarquerai dans la galère. Il faudra bien sûr encore jouer de la lame dans cette traversée, calmer les bassesses des autres migrants (les mêmes que la mienne) ; mais dorénavant mon sang ne coulera pas seul. Et puis la faim, et puis la maladie, qu'importent : ce sera long, très long, mais cette fois avec une destination.
Aujourd'hui je mets mes papiers en ordre pour l'autorisation de monter à bord. Je les jetterai une fois arrivé, là-bas le passé reste tout à écrire, la vie comme un roman. Et ce sera la carrière d'un malfrat, d'un gangster sans gang, d'un roi de plus dans la nouvelle république. Je me lancerai dans les affaires, un peu troubles certes, mais là-bas telle est la loi. Au mois de mai j'ouvre le mémento de mes forfaits à venir : la Fabrique du Meurtre - un nouveau site, avec un nouveau blog et bientôt dans les faits divers des journaux. J'ai pris de l'avance : j'ai troqué mon vieux Times New Roman 12 pour un .38 spécial de fabrication française flambant neuf - Ain't got no time anymore, but a gun. J'ai désormais la syntaxe made by Manurhin, l'assassinat en French Touch. Et déjà d'impatience des cadavres fleurissent ici. Il est plus que temps de partir.
Au mois de mai. Pour le moment je ne suis encore pas très loin de toi, alors je passerai quelques fois t'embrasser, pour faire durer les adieux. Et qui sait ? Peut-être que là-bas je t'y retrouverai. Ce qui est certain, c'est que je m'y retrouverai.
* *
Stanisław Wróbel suit des yeux les bateaux hollandais en partance sur l'océan, un bout d'espoir au coeur des larmes. Aujourd'hui il attend encore sur le quai de pierre, mais bientôt il sera un autre siècle, un nouveau monde. Dans quelques semaines il embarque pour là-bas, il quitte cette terre où il a trop marché sans savoir pourquoi. Là-bas où il aura enfin un être, là-bas où quelque chose pourra naître. Il repense à cette fille au regard bleu qui l'a tant aimé et puis plus rien, un grand vide alors ; il partira, traversera du possible la mort. Il oublie déjà les rues slaves de sa ville triste, ça fait si longtemps. Un amour qui s'en est allé et une patrie qui n'existe plus, toujours la même vieille rengaine sans un au revoir. Il n'échappe pas à l'Histoire : 1899, une fin comme un commencement. Au-dessus des vagues, il y a le vent.
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